Création littéraire

La créa­tion lit­té­raire occupe une place de plus en plus importante dans ma vie. Novice tar­dive en écri­ture, je me suis mise en contact avec d’autres auteur-e‑s, j’ai par­ti­cipé à des ate­liers et des forums lit­té­raires et j’ai ainsi déve­loppé mes textes, qui ont été publiés en 2014 dans le recueil « Camou­flage ». Ma langue d’écriture est l’allemand. Deux nou­velles de « Camou­flage » ont été tra­duites en fran­çais. En 2019, mon pre­mier roman inti­tulé « Zu dritt » a été publié par « edi­tion bücher­lese ». Dif­fér­ents tri­an­gles rela­ti­on­nels déclinés en trois chapî­tres : c’est le thème, le fil rouge, l’essentiel de ce roman dont le récit s’étend sur plus de soix­ante ans et sur trois générations.

Link zum Verlag: https://www.buecherlese.ch/

Extrait de texte tiré de „Camouflage“

Grand-Rue (traduit de l’allemand par Georgette Blanc)

«Un bijou» lui avait dit l’agent immo­bi­lier, «exac­te­ment ce qu’il vous faut». Lorsqu’elle avait visité les lieux, il fai­sait un soleil res­ple­ndis­sant. L’agent, qui était arrivé avant elle, avait allumé toutes les lumières et ouvert grand les fenê­tres, et une lumière d’hiver blanche ent­rait à flots. Il la con­duisit dans tout l’appartement comme s’il l’avait fait con­struire spé­cia­le­ment pour elle. Trois cham­bres sur deux étages, cui­sine-salle à manger, ter­rasse, le tout fraîche­ment rénové, la salle de bain était borgne, ma foi*, il leva les mains, mais elle avait des car­reaux noirs et un bidet. Elle pou­vait emmé­nager immé­dia­te­ment. Erminia se déroba à son regard, qu’il avait posé sur son corps comme une main pesante, et alla à la fenêtre. Elle n’était pas sûre que cet homme sache ce qu’il lui fallait, mais la vue l’enchantait et, ce qu’elle ne lui dirait pas, sur ce point, il n’avait pas tort. Dans ces anci­ennes mai­sons patri­ci­ennes de la Grand-Rue habi­taient ceux qui avaient réussi dans la vie. De joyeux céli­ba­taires, des familles recom­po­sées non conven­tio­nnelles, des artisans, des gens de la Cul­ture et des poli­ti­ciens de la gauche libé­rale. Berlin-Mitte ou Green­wich Vil­lage, mais à une plus petite échelle, à la Suisse* jus­tement. On se ren­con­trait au marché ou pour un expresso chez Fré­dérik, les hommes por­taient des pan­ta­lons de cou­leur, et leurs che­veux, quand ils en avaient, rebi­quaient artis­ti­quement. Le comble de la per­fec­tion décon­tractée. Mais fina­le­ment, ce qui fut déter­mi­nant, ce fut la vue : le coup d’œil sur la rivière qui, au cours de mil­liers d’années, avait creusé son lit dans les cou­ches de molasse, le pont du Milieu, le pignon en esca­lier de l’Ancienne Caserne et les toits de tuiles de la Basse-Ville anci­enne, qui, il y a encore soix­ante-dix ans, lorsque ses grands-par­ents étaient arrivés dans la ville, était un quar­tier à pro­blèmes avec une énorme pro­mis­cuité et des con­di­tions sani­taires cata­stro­phi­ques, et où aujourd’hui les appar­te­ments se ven­daient à des prix fantaisistes.

La Grand-Rue avait tou­jours été un quar­tier riche. C’est dans les appar­te­ments de la Grand-Rue que sa mère avait fait des ménages. Santo cielo che casino, avait-elle dit en ren­trant à la maison, et quand l’enfant, qui devait avoir une vie meil­leure, avait eu le droit de l’accompagner, elle avait été étonnée que les Suisses qui pro­cu­raient à sa mère tra­vail et salaire aient si peu de meubles. Elle se sou­ve­nait de livres, de tableaux, d’enceintes acous­ti­ques cou­vertes de pous­sière et de pièces au par­quet mar­queté où, comme chez le den­tiste, il n’y avait qu’un lam­pad­aire et un divan. Sur le coteau d’en face, elle voyait des mou­tons qui pais­saient, la paroi escarpée dominée par la cha­pelle de Lorette et der­rière, les mon­tagnes. Erminia n’eut pas besoin de réflé­chir long­temps. Le loyer était élevé, mais elle pou­vait se le per­mettre et de plus il était temps qu’elle sai­sisse les occa­sions qui se pré­sen­taient à elle.

* En fran­çais dans le texte. (NDT)

© Pau­lus­verlag Freiburg/Schweiz, 2014